Textes rédigés par Frédéric Evard

 

La maison témoin de Campigneulles-les-Petites et le château de Monthuys-Dessus à La Calotterie.

En France, la technique du pisé est séculaire dans le Lyonnais, le Dauphiné, la Bresse, en Beauce, en Auvergne de l’est, dans le Bourbonnais et en Pays Aquitain et Toulousain.

C’est un procédé qui consiste à construire des murs monolithes et porteurs de plus de 40 cm d’épaisseur par le compactage de couches successives de terre dans un coffrage traditionnellement en bois.

La terre limoneuse se travaille à l’état meuble avec peu d’eau et peut contenir des cailloux pour augmenter la résistance mécanique, mais elle n’est mêlée à aucune fibre. Elle est déversée dans un coffrage ou banche par couches successives d’une vingtaine de centimètres de hauteur, puis tassée à la dame ou au pisoir jusqu’à ce qu’elle ne fasse plus que 10 cm de hauteur.

On utilise des banches d’environ 2m de long sur 50 à 60 cm de haut. Lorsque le premier coffrage est rempli, on le déplace latéralement puis verticalement pour les banchées suivantes.

Les parements extérieurs n’ont pas besoin d’être recouverts d’un enduit terre.

La technique traditionnelle a évolué. Aujourd’hui, des techniques mécanisées connaissent un succès grandissant pour la réalisation de murs en pisé, tant en France qu’à l’étranger (photo mise en œuvre contemporaine/mur contemporain).

Détail d’une mise en oeuvre traditionnelle d’un mur en pisé © photo CAUE 62
Grange traditionnelle en pisé © photo Marie-Christine Geib-Munier
Mise en oeuvre contemporaine d’un mur en pisé © photo Frédéric Evard
Mur en pisé dans un habitat contemporain © photo François Streiff

Le pisé n’a pas de racines historiques dans le nord de la France. Cependant, c’est le Comte des Garets, sous-préfet de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer (Pas-de-Calais) de 1821 à 1830, originaire du Beaujolais, qui va tenter d’importer ce savoir-faire et de le développer dans la région. En 1823, il publie une Notice sur le pisé et sur les avantages de son introduction dans les départements du Nord de la France ; ouvrage destiné à promouvoir cette technique et la substituer à celle du torchis.

En France, durant les XVIIIème et XIXème siècles, des architectes, maîtres d’œuvre ou entrepreneurs, originaires du Lyonnais, vont publier un certain nombre d’ouvrages destinés à promouvoir cette technique, la perfectionner et donner les règles professionnelles indispensables à sa mise en œuvre :

  • L’architecte et historien Guillaume-Marie Delorme (1700-1782) dans Mémoire pour la construction des murs en terre, rédige un texte de référence sur le pisé.
  • George-Claude Goiffon (1712-1776), architecte, publie L’art du maçon piseur, premier véritable traité d’architecture sur cette technique.
  • François Cointeraux (1740-1830), architecte-entrepreneur et professeur d’architecture rurale est l’auteur de nombreux fascicules sur la construction en pisé. Ses ouvrages seront traduits ou adaptés dans les principales langues européennes et auront un impact jusqu’aux Etats-Unis et en Australie.

En 1786, il construit sa première maison « incombustible » en pisé à Chorgues (Hautes-Alpes).

En 1787, il construit un second modèle témoin à Amiens (Somme) et obtient un prix de l’Académie d’Amiens. Son travail portait sur la mise en œuvre du pisé, une maçonnerie de terre économique qui limitait l’emploi du bois et offrait le moyen le plus simple et le moins dispendieux de prévenir et d’éviter les incendies dans les campagnes. Mais une conspiration de maçons, charpentiers et marchands de bois, alors habitués à la technique du torchis, conduira à l’abandon de son modèle et le chassera d’Amiens.

  • Fils d’un maçon lyonnais, l’architecte Jean-Baptiste Rondelet (1743-1829) dans son Traité de l’Art de Bâtir, reprend le travail de Cointeraux et consacre 7 pages au sujet.
  • Le Capitaine du Génie Frossard décrit en 1844 la Manière de confectionner le pisé pour les ouvrages militaires et de fortification.
  • En 1855, l’industriel lyonnais, François Coignet (1814-1888) publie pour l’exposition universelle : Constructions économiques en béton-pisé. Il met au point un béton de terre moulé et comprimé extrêmement bon marché et offrant une solidité suffisante pour construire. Ce béton se compose de 7 volumes de sables, graviers et cailloutis, 3 volumes de terre argileuse non cuite et 1 volume de chaux non délitée pour stabiliser le mélange. Ce béton, convenablement broyé et mélangé, a donné des murs d’une dureté à peu près égale à celle du moellon de Paris, mais à coup sûr d’une solidité beaucoup plus grande que celle des constructions de forme monolithe (pisé traditionnel). Il s’orientera ensuite sur le béton de cendres de houilles et construira des habitations modèle à Saint-Denis, près de Paris.
  • Bien plus tard, en 1941, l’architecte et urbaniste Paul Dufournet (1905-1994) est désigné par le Commissariat Technique à la Reconstruction (CRI) pour établir le plan d’aménagement et de reconstruction du village du Bosquel, situé dans le département de la Somme, à 20 km au sud d’Amiens et détruit à 95% par les bombardements de juin 1940.

Il soumet au CRI l’idée de faire de ce village un « village type », pouvant donner un exemple des dispositions de construction et d’aménagement qui conviennent le mieux aux constructions rurales et qui pourront être reproduites dans les diverses régions agricoles compte tenu des adaptations locales. Il prône une architecture contemporaine qui se conçoit à partir de l’étude de la société locale, son milieu naturel et économique, son folklore et les techniques constructives.

Devant la pénurie presque totale des matériaux de construction (briques, tuiles, ciment, métaux, bois) et d’électricité, la défaveur envers la construction en torchis, et le manque de main d’œuvre qualifiée pour renouer avec cette technique ancestrale et locale, Paul Dufournet expérimente la technique du béton de terre stabilisée en améliorant le procédé Mécaterre, qu’il avait découvert dans un rapport de l’Industrielle de Construction Moderne.

Sur le principe du pisé traditionnel, la terre locale fut prélevée et analysée du point de vue mécanique, puis stabilisée par incorporation de 75 à 125 kg de ciment par mètre cube de terre et damée dans des coffrages. L’expérience porta de 1945 à 1946 sur 2 fermes. Mais la technique fut abandonnée au profit de la technique de l’ossature en béton et remplissage en parpaings de briquaillons, le ciment devenant plus abondant et le climat psychologique toujours peu favorable à la technique de la construction en terre, considérée comme appartenant au passé.

Après l’expérience du Bosquel et la construction d’une maison en terre à Longpré-les-Corps-Saints (Somme), Paul Dufournet et l’architecte Miquel tenteront de promouvoir à nouveau la construction en terre en construisant un prototype de maison pour la reconstruction de la cité des cheminots de la ville de Tergnier (Aisne). Ces expériences échoueront.

En Europe cependant, forcé par le manque de matériaux de construction d’après-guerre, le béton de terre stabilisé sera également utilisé en Belgique, en Allemagne, en Hongrie, au Danemark, en Suède et en Espagne.

 

La maison témoin de Campigneulles-les-Petites :

Afin de mettre en pratique ses écrits et convaincre de l’intérêt du pisé, le sous-préfet de Montreuil-sur-Mer, Denis-Félicité de Garnier des Garets, acquiert un terrain en friche situé à l’entrée de Campigneulles-les-Petites, en bordure de la Route Nationale n°1 dite de Paris à Calais, au lieu-dit « Grand Chemin ». Il y fait construire, à ses frais, en 1823, une maison et un mur de clôture de jardin par un maître-ouvrier de l’Ain et selon les plans d’une maison du Beaujolais. Il formera ensuite quatre ouvriers piseurs qui seront proposés aux personnes désirant construire en terre dans la région.

Cette maison existe toujours, deux siècles plus tard. Le bâtiment en pisé mesure hors œuvre un peu plus de 11m de longueur sur 5,65 m de largeur et comporte un étage carré surmontés d’un comble à deux croupes. Les murs ont une épaisseur de plus ou moins 50 cm et les banches qui ont une hauteur de 75 cm, sont liées entre elles par un cordon de mortier de chaux dans la tradition lyonnaise. La façade sud, actuellement cachée par un appentis qui a été construit après 1962, était protégée par un auvent d’environ 1m de débord de toiture, supporté par de grandes consoles en bois mouluré. Le bâtiment, dans sa configuration d’origine, a été dessiné par Albert Leroy et publié dans son ouvrage Les vieilles fermes du pays de Montreuil.

En 1831, la maison est la propriété de François Lebas, âgé de 56 ans. Il est ouvrier maçon et cabaretier. En 1846, l’établissement est un débit de boissons, tenu par Justine Bellembert, veuve Bourgois, âgée de 51 ans. Elle partage la maison avec Noel Bulot qui est, à 28 ans, cantonnier affecté à l’entretien de la Route Royale n°1 de Montreuil à Paris. L’établissement gardera la même affectation jusqu’au début des années 2010.

La Révolution des Trois Glorieuses de juillet 1830 installe un contexte politique défavorable qui obligera le Sous-préfet des Garets à démissionner. Ses efforts de persuasion pour développer cette technique non indigène et sa démonstration semblent ne pas avoir fait d’adeptes. Une autre construction en pisé a toutefois été construite à quelques kilomètres de là. Il s’agit de la ferme de Monthuys dessus dans le village de La Calotterie, situé au nord-ouest de Montreuil-sur-Mer.

Croquis d’Albert Leroy – Extrait des « Fermes du Pays de Montreuil » © Jean Leroy
Maison témoin de Campigneulles-les-Petites vue depuis la rue © photo Frédéric Evard

 

La ferme du château de Monthuys-Dessus à La Calotterie :

C’est au milieu d’un parc immense, aménagé sur le plateau sud de la vallée de la Canche, qu’ont été construits la ferme et le château du domaine seigneurial de Monthuys-Dessus.

L’actuel long bâtiment de ferme a été reconstruit sous la Restauration, un peu plus à l’écart et au nord du château qui, lui, a été plus ou moins reconstruit ou rénové en 1832 dans le style du Premier Empire.

C’est probablement grâce aux liens d’amitié qu’entretenaient le propriétaire, le chevalier Charles Antoine d’Acary de la Rivière et le Comte des Garets, sous-préfet de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer, que la technique du pisé a été mise à l’honneur sur ces 2 édifices.

Façade principale est de la ferme © photo Frédéric Evard

L’aile principale de la ferme est une construction vraiment atypique qui abrite sous un même toit et dans une même modénature de façade, le corps de logis, les écuries et les étables. C’est un bâtiment de plain-pied de près de 68 m de longueur, curieusement orienté nord-sud pour n’ouvrir la façade principale qu’au soleil levant. Les pignons et les murs gouttereaux sont construit en pisé. La façade noble, de style néo-classique, comporte 23 travées de portes ou fenêtres, encadrées par des pilastres d’ordre toscan, parfois doublés pour marquer les 5 frontons triangulaires ou cintrés qui ornaient les combles. Il ne reste aujourd’hui que leurs entablements percés de 3 oculi pour le central et d’un seul pour les 4 autres. La base et le chapiteau des pilastres ont été réalisés en bois mouluré, alors que le reste est en stuc de terre et chaux. La façade est ornée bandes de refends horizontaux et l’ensemble, pilastres compris a été badigeonné. Pour faire illusion, de fausses fenêtres en bois ont été plaquées au droit des étables et des écuries. Des toiles noires tendues simulaient le vitrage.

 

 

Le comte Charles d’Acary de la Rivière, grand amateur des beaux-arts, s’était lié d’amitié avec l’Amiénois Charles Augustin Nicolas Joron (1769-1845), imprimeur en lettre de son métier, mais aussi peintre et dessinateur. Il sera un véritable mécène et lui passera commande de nombreux dessins et relevés d’architecture.

J’ai à faire faire, écrit-il à Joron en 1819, deux granges dont les portes forment deux frontons supportés par quatre pilastres d’ordre toscan chacun. Je me propose de décorer ces deux frontons par des attributs d’agriculture qui sont principalement des outils et meubles qu’elle emploie, des gerbes de blé et des cornes d’abondance. J’ai marqué sur une feuille de papier que je vous envoie la grandeur des frontons, les pièces dont les attributs devront être compris et la manière dont je désire qu’ils soient arrangés en groupe. Si cependant vous trouvez qu’il y ait une autre manière de les arranger qui ait plus de grâce, je vous laisse le maître de choisir cette disposition. Les dessins sont destinés au plafonneur qui doit exécuter ces attributs.

 

Il écrit ensuite : Je viens de faire exécuter en plafonnage (enduit terre, fibres et chaux) les derniers frontons dont vous m’avez envoyé les dessins, je ne pense pas qu’on les eût mieux faits à Paris. C’est à la chaux de Samer qui devient beaucoup plus dure que notre pierre et qui n’a pas l’inconvénient de s’écailler à la gelée, comme le plâtre, ou d’être rongé par le vent de mer. Les attributs sont peints en blanc à l’huile et le fond le sera en bleu de ciel pour faire ressortir le tout. Les bâtiments sont couverts de pannes plombées de vert. Par un temps nébuleux cela paraît être des ardoises et quand le soleil donne dessus, elles jettent un éclat tel que la vue en est blessée. L’exécution de bas-reliefs par un plafonneur nous rappelle que, avant que les communications faciles drainassent vers les grands centres toutes les activités et toutes les demandes, il y avait jusque dans nos villages des artisans qui se doublaient d’artistes.

Base d’un des pilastres © photo Marie-Christine Geib-Munier
Fausse fenêtre © photo Marie-Christine Geib-Munier
Chapiteau d’un des pilastres © photo Frédéric Evard
Détail persienne en stuc de terre et chaux de Samer © photo Frédéric Evard

 Le travail fait à Monthuys sur les dessins de Joron est une des toutes premières applications de la technique du plafonnage à la décoration. C’est beaucoup plus tard que des ouvriers italiens venus du Piémont en généralisèrent l’usage dans le Nord de la France.

Il poursuit : J’aurai à vous demander le dessin d’un arc de triomphe de ma composition et d’une architecture très élégante que je compte exécuter ici en terre. Il faut que je commence moi-même par faire ce dessin pour vous en donner une idée exacte.

L’idée paraît avoir été abandonnée. Charles d’Acary connait la construction en terre et c’est probablement avec l’aide de Joron qu’il décore le pignon sud de la nouvelle ferme de la propriété.

Ce pignon sud, donnant sur le parc du château, est orné de 2 fenêtres feintes aux persiennes closes, surmontées d’un fronton triangulaire et d’un soleil symbolique. Pour que l’illusion soit parfaite, le tout est réalisé en stuc de terre et chaux sur la paroi de pisé. La précision du détail va jusqu’à exprimer de fausses pentures et gonds des volets.

La façade ouest montre en partie son pisé dont les banches sont également liaisonnées par un cordon de mortier de chaux.

Quant au château, construit en plusieurs étapes, il semble intégrer des parties primitives de murs en pisé.

En l’absence de tradition locale, les tentatives d’introduction du pisé dans le nord de la France : d’abord à Amiens par François Cointeraux à la fin du XVIIIème siècle, celles du Comte des Garets dans les années 1820 et enfin celles de Paul Dufournet après la seconde guerre mondiale, n’auront pu s’implanter durablement et furent vouées à l’échec.