Textes rédigés par Frédéric Evard

 

Une autre technique de construction en terre crue

L’existence d’habitats en terre crue a été révélée sur l’ensemble des territoires du nord de la France depuis l’époque néolithique. Dans le Pas-de-Calais, l’utilisation de la terre crue ne s’est pas limitée exclusivement aux constructions en torchis. Deux autres techniques constructives ont été utilisées dans le département ; il s’agit de la bauge et du pisé.

La technique de la bauge et celle du pisé ont en commun l’objectif de construire directement en place des murs porteurs et massifs, aptes à supporter les planchers et la toiture d’une construction, à la différence du torchis qui est une technique de remplissage ou de hourdage d’une structure porteuse de murs ou de planchers.

Il existe une quatrième technique constructive de mise en œuvre de la terre crue : l’adobe. Ce sont des briques de terre crue pouvant comporter des fibres. Elles sont moulées, compactées et séchées à l’air. On obtient des modules de dimensions variables qui permettent de construire des murs, des piliers, des arcs, des voutes ou des cloisons.

Si cette technique est ancestrale en Thiérache, en Champagne, en Auvergne ou en Gascogne, elle ne semble pas s’être développée spontanément dans notre département. On a pu toutefois mettre en évidence l’existence d’un mur de refend en briques d’adobe dans le village de Bomy.

Le torchis :

Le torchis est un matériau et une technique de remplissage d’une structure porteuse en bois que l’on appelle le pan de bois ou le colombage. Un mélange composé de terre argilo-limoneuse, de fibres végétales et d’eau est rendu plastique par piétinement, puis inséré entre et autour de l’ossature en bois, au moyen d’une structure d’accroche qui peut être, dans le département, constituée d’un lattage, d’un barreaudage ou d’un tressage.

Le torchis semble avoir été la technique la plus utilisée sur l’ensemble du territoire du Pas-de-Calais. Malgré les dégâts causés par les deux guerres mondiales, le développement de l’industrie à partir de la seconde moitié du XIXe siècle et l’exploitation du charbon qui a engendré une forte urbanisation et la destruction du patrimoine rural, les constructions en torchis sont encore bien présentes sur les deux tiers ouest du département du Pas-de-Calais.

Le pisé :

Cette technique est présente en France, notamment dans le Lyonnais, le Dauphiné, la Bresse, en Beauce, à l’est de l’Auvergne, dans le Bourbonnais et en Pays Aquitain et Toulousain.

C’est un procédé qui consiste à construire des murs monolithes et porteurs, de plus de 40 cm d’épaisseur, par le compactage de couches successives de terre dans un coffrage en bois.

Le pisé n’a pas de racines historiques dans le nord de la France. Cependant, c’est le Comte des Garets, sous-préfet de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer (Pas-de-Calais) de 1821 à 1830, originaire du Beaujolais, qui va tenter d’importer ce savoir-faire et le développer dans la région. En 1823, il publie une « Notice sur le pisé et sur les avantages de son introduction dans les départements du nord de la France », ouvrage réalisé dans l’objectif de remplacer le torchis par le pisé.

Malgré cette impulsion, seules deux constructions semblent avoir été bâties dans le département. Nous développerons le sujet dans une prochaine lettre.

La bauge :

La bauge est présente en France : en Picardie, en Normandie, dans la Beauce, en Bretagne dans le bassin de Rennes, dans le Poitou, en Vendée, en Sologne, en Auvergne et en Camargue.

On la trouve également en Belgique, dans le Hainaut, et à l’ouest de l’Angleterre, dans le Devon.

Cette technique consiste à monter des murs massifs en terre par l’empilement de mottes composées d’un mélange plastique de terre et de fibres végétales. Ce savoir-faire se différencie du pisé dans la mesure où il n’utilise aucun coffrage et les outils se limitent à la fourche et à la bêche. Dans la région, cette technique a dû connaître un développement important à des époques de difficultés économiques, de pénurie de bois, et en périodes de guerres.

La terre à bâtir est prélevée sous la couche de terre arable et étalée sur le sol, à proximité du chantier. La terre est humidifiée et mélangée à de la paille au moyen d’une fourche, puis foulée au pied pour obtenir un mélange plastique. Des pains de terre sont ensuite prélevés avec la fourche et empilés pour monter la première levée de mur, qui fait 50 à 60 cm d’épaisseur sur 50 à 70 cm de hauteur environ. Les parements sont le plus souvent battus afin de chasser l’air et leur donner plus de cohésion, et enfin retaillés avec un outil tranchant. Après quelque temps de séchage, l’opération est répétée pour constituer la levée supérieure. Les parements reçoivent enfin un enduit de protection en terre.

Dans certaines régions, comme en Vendée, ou notamment sur certains bâtiments du département du Nord, le mélange semble être découpé au sol à la bêche, en blocs plus ou moins réguliers, puis empilés et tassés sur la levée.

Dans le département du Nord, onze constructions en bauge ont été repérées dans le Hainaut français et plus précisément dans l’Avesnois.

Conteville-en-Ternois © Frédéric Evard

Dans le département du Pas-de-Calais, j’ai pu identifier à ce jour, pas moins de 33 constructions en bauge. Elles se situent en Artois, dans la vallée de la Brette et de son affluent la Lawe, dans les communes de Bruay-la-Buissière, Rebreuve-Ranchicourt et son hameau de Barafle, Fresnicourt-le-Dolmen et ses hameaux d’Olhain et de Verdrel, Gauchin-le-Gal et Caucourt. Sur les plateaux proches, on trouve la bauge à Chelers, Estrée-Cauchy, Cambligneul et Camblain-l’Abbé. Au pied des collines de l’Artois, en bordure de la plaine des Flandres, se trouvent deux exemples à Ruitz et à Hersin-Coupigny. Plus à l’ouest, dans le Ternois, un cas a été identifié à Ivergny et deux autres dans le village de Conteville-en-Ternois. Enfin, au nord de Saint-Pol-sur-Ternoise se trouve un des exemples les plus authentiques dans le village de Bours. La présence de bauge m’a également été signifiée dans le village de Bomy.

La bauge a été utilisée pour construire à la fois des habitations et des constructions agricoles. La plupart a été construite au XVIIIe et XIXe siècles.

La maison la plus ancienne se situe à Conteville-en-Ternois et daterait du XVIe siècle. Les deux murs gouttereaux étaient construits en bauge. Seule la façade sud nous permet encore d’observer le fruit important entre la base et le sommet du mur.

 

Verdrel © Frédéric Evard

Dans ce village, au fond du cimetière, la façade sud de la maison vicariale était également construite en bauge. Son parement a été remplacé par de la pierre de taille dans les années 1980. La terre « massive » semblait bien considérée de tous puisque dans l’enquête de 1790, faite auprès de tous les villages du département, la maison est décrite comme logeable et solidement bâtie.

Dans le hameau de Verdrel, commune de Fresnicourt-le-Dolmen, qui totalise au moins neuf constructions en bauge, c’est un mur de clôture de plus de 32 mètres de longueur qui a été réalisé en utilisant cette technique. Il se compose d’un mur de soutènement en moellons de grès de 1,40 m de hauteur, surmonté de quelques assises de craie. La bauge a été utilisée pour la partie sommitale non enterrée. Elle est protégée par un couronnement en tuiles.

Ruitz © Frédéric Evard

Parfois, la bauge semble être utilisée par économie, « en remplissage », pour terminer une maçonnerie, donnant l’impression de pallier au manque des quelques derniers mètres cubes de pierres ou de briques nécessaires à l’achèvement du mur. C’est le cas d’une grange de Ruitz ou de deux bâtiments agricoles de Camblain-l’Abbé.

Rebreuve-Ranchicourt © Frédéric Evard

 

A la différence de la plupart d’autres régions où tous les murs d’une construction sont édifiés en bauge, la bauge, ici, semble avoir été utilisée avec parcimonie, limitant sa présence aux façades nord, fermées au froid et aux intempéries hivernaux. La façade sud/sud-est, qui est largement percée de baies pour bénéficier de l’ensoleillement maximum, est réalisée, elle, en colombages et torchis facilitant la création des ouvertures.

La maison « Choquet » à Bours (qui fait l’objet d’une brève ci-contre et d’un article en quatrième de couverture) associe ces deux techniques de construction en terre, bauge et torchis.

Parfois, le pignon est, moins exposé aux intempéries, est construit en bauge. A Bruay-la-Buissière, ce pignon est protégé par un pan de toiture à croupe. A Rebreuve-Ranchicourt, le pignon est est en bauge et sa pointe de pignon est en pan de bois et torchis ; l’ensemble est préservé par un élégant toit très débordant à demi-croupe.

La maison « Choquet » de Bours : construction en bauge et en torchis

Mur gouttereau nord © Marie-Christine Geib-Munier

Cette maison, construite au cœur du village de Bours, en face de l’église et proche du donjon féodal, daterait de la fin du XVIIe ou du début du XVIIIe siècle. Elle appartenait à Guislain Choquet. Ancien clerc du village voisin, il reviendra s’installer à Bours vers 1765 pour exercer la profession de collecteur de la paroisse.

Son fils François, héritera de la maison et exercera la profession d’arpenteur, marchand et ménager. Veuf depuis une trentaine d’années, il y mourra le 26 juin 1857.

Selon la volonté du défunt, la maison est « vendue publiquement à la criée par les soins et à la requête de mon exécuteur testamentaire pour, qu’avec le prix de la vente de ces biens il paye tous les frais auxquels l’ouverture de ma succession donnera lieu sans aucune exception ». Il lèguera à sa fidèle servante, Ludivine Lemaire, « un bois de lit, une paire de rideaux en toile bleue, une paillasse, un oreiller en coutil rempli de plumes, une couverture en laine jaune, une autre en coton et une paire de draps ».

La maison est représentative d’un type d’habitat séculaire, presque totalement disparu aujourd’hui, utilisant à la fois la technique de la bauge et celle du torchis. Elle se compose, au nord, d’un mur gouttereau en bauge et au sud, d’une façade en pan de bois et torchis.

Le mur en bauge a une épaisseur de 48 cm et les levées de terre avoisinent les 50 cm. Le pan de bois est recouvert de torchis avec lattage extérieur. Certaines pièces comportent un double lattage posé sur les deux faces des colombages.

Ces murs gouttereaux sont isolés du sol au moyen de soubassements maçonnés, de briques ou d’un mélange de silex et de quelques moellons de grès. Ces façades étaient encadrées à l’est et à l’ouest par deux pignons en pierre de taille. Le pignon ouest a été reconstruit en briques en 1936 et percé d’une porte charretière, au moment où cette maison a été reconvertie en garage pour abriter le véhicule du propriétaire, Hilaire Duquesne, marchand de bestiaux. Le pignon, côté est, possédait un four à pain en appentis et une très grande cheminée, tous deux détruits.

Cette maison de notables se distingue des maisons rurales ordinaires par ses hautes fenêtres cintrées à petits carreaux et petits bois à boudins, surmontées d’impostes vitrées, par ses hauts combles à surcroît et par sa confortable pièce de vie surélevée, positionnée au-dessus de la cave semi-enterrée.

Le corps de logis, long d’une vingtaine de mètres, s’ouvrait au sud/sud-est sur une cour qui était bordée d’étables et autres bâtiments agricoles.

Nous avons pu encore observer de nombreux détails techniques et indices qui ont permis de restituer le nombre et la distribution des pièces. L’organisation spatiale de la maison est très simple ; elle comportait une pièce de vie faisant office de chambre pour le propriétaire, une cuisine, un cabinet à coucher pour la domestique et un autre cabinet ne comportant pas de jour. Sous le même toit, et en prolongement de l’habitation, un grand fournil, appelé boulangerie, et son four à pain, comportait un accès indépendant.

Mur gouttereau sud © Marie-Christine Geib-Munier

De la cour, on entrait dans la cuisine, pièce de vie principale qui était éclairée par une petite fenêtre cintrée à deux vantaux et par l’imposte de la porte. Cette pièce comportait une grosse cheminée, à l’ouest, sur le côté de laquelle on accédait à la grande chambre au moyen d’un escalier.

L’inventaire après décès décrit dans cette pièce, entre autres objets, les accessoires accompagnant la cheminée et sa corniche : chenets, crémaillère, soufflet et porte allumettes. Il y a aussi une table, deux chaises et un fauteuil, une armoire, deux chandeliers, une lampe en cuivre et toute la vaisselle et ustensiles de cuisine nécessaires.

La chambre surélevée, comportait également une grande cheminée adossée à la première dont on peut voir encore les trémies de solives et le bois noirci par la fumée. Elle était éclairée par deux fenêtres au sud, remplacées par la suite par une fenêtre unique un peu plus grande. Dans cette pièce de vie, occupée par le propriétaire, on comptait : 1 poêle, 1 grande table et 11 chaises, 1 armoire en chêne et cerisier, 1 petite table en bois et de la vaisselle. Dans une garde-robe, on trouvait des vêtements et 1 chaîne d’arpenteur. Dans 4 boîtes en bois étaient rangés du linge de maison, des chaussures, 1 urinoir et 1 vase de nuit. Le lit avec son linge ont été légués à la domestique.

On devait accéder à la cave voûtée, par un autre escalier situé peut-être de l’autre côté de la cheminée de la cuisine où se trouvaient 1 planche, 1 cuvette, 1 trépied pour la lessive et des bouteilles.

Vestige d’origine de l’imposte vitrée d’une baie © Frédéric Evard

La cuisine desservait à l’est, deux petits cabinets. Le premier, qui était éclairé au sud sur la cour, devait être la chambre de la domestique et abritait 1 bois de lit, 1 paillasse en toile, 1 oreiller, des draps et couvertures. Il y avait également 4 chaises, 1 petite glace et 1 coffre qui renfermait du linge ; 1 fourche et 1 gaufrier y étaient rangés. L’autre cabinet ne comportait pas de fenêtres et servait de garde-robe ; on y trouvait 1 balance, des cordes à lessive, 1 panier, 1 seringue, 1 cage, des vêtements, plusieurs vieux ouvrages et 5 hectolitres de charbon.

Le fournil ou boulangerie adossait sa grande cheminée au pignon est. La poutre sommier noircie et ses paumes de solives marquent le niveau du plancher haut. Cette pièce comportait une fenêtre cintrée à imposte et une porte donnant sur l’extérieur. On y trouvait, outre le pétrin et les ustensiles nécessaires à la fabrication du pain, 1 vieux coffre, 1 table, 1 marmite en fer et 1 cage à poulets.